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Les syn­di­cats ayant appe­lé à la grève le 19 mai pour pro­tes­ter contre la réforme des col­lèges vou­lue par le gou­ver­ne­ment ont recueilli un suc­cès miti­gé. Entre 30 et 50% de gré­vistes, des mani­fes­ta­tions certes un peu mai­gre­lettes alors que cette loi va peser néga­ti­ve­ment sur des géné­ra­tions d’élèves dès la ren­trée pro­chaine. Mais les syn­di­cats n’ont pas per­du la face.

Dès le len­de­main, le 20 mai, le décret d’application de la loi a paru au Jour­nal Offi­ciel, démon­trant ain­si le peu de consi­dé­ra­tion qu’il accor­dait à la démo­cra­tie sociale. La réforme pré­voit de lais­ser chaque col­lège fixer 20% de son emploi du temps, avec de l’ac­com­pa­gne­ment per­son­na­li­sé pour tous, de l’in­ter­dis­ci­pli­na­ri­té et une deuxième langue vivante (LV2) avan­cée en cin­quième. Selon les termes du décret, elle sera appli­quée comme pré­vu à la ren­trée 2016.

Un débat inaudible ?

Il est vrai que la droite s’est empa­rée de cette réforme pour en faire une affaire poli­ti­cienne. Loin de don­ner un éclai­rage sur les enjeux de la loi, elle a plu­tôt contri­bué à com­plexi­fier le débat jusqu’à le rendre incom­pré­hen­sible. Il est vrai qu’entendre les hommes de Sar­ko­zy et l’ex-président lui-même fus­ti­ger le pro­jet est sur­réa­liste. Eux qui ont sup­pri­mé 80.000 postes pen­dant leur quin­quen­nat, liqui­dé les RASED qui venait en aide aux élèves en dif­fi­cul­tés, entre autres, sont plu­tôt mal pla­cés pour jouer les défen­seurs ver­tueux du col­lège unique et pour­fen­deur des l’élitisme.

D’autant plus que la qua­si-tota­li­té des per­son­nels de l’Education natio­nale consi­dère qu’il faut des réformes impor­tantes pour don­ner plus de moyens aux élèves d’accéder aux appren­tis­sages fondamentaux.

La prin­ci­pale fédé­ra­tion des parents d’élèves, la FCPE, a, quant à elle sou­te­nu la réforme mal­gré une forte oppo­si­tion d’une par­tie impor­tante de ses membres. A tel point qu’on peut s’interroger si son pré­sident n’a pas été réélu pour cette rai­son lors du congrès qui vient de se tenir à Reims du 23 au 25 mai.

Les argu­ments contre cette réforme

Evi­tons donc les argu­ments que la droite a assé­nés pour se concen­trer sur ceux qui nous paraissent aller dans le sens d’une vraie réforme à entreprendre.

Ils sont aisé­ment consul­tables sur les sites du SNES-Sup, de FO Edu­ca­tion, de la FERC CGT… Preuve que les syn­di­cats ne font pas une simple obs­truc­tion et ne font pas par­tie de ceux qui ne veulent rien bouger.

Là où le gou­ver­ne­ment avance mas­qué, c’est qu’il affirme que sa réforme va amé­lio­rer la situa­tion pour les élèves. Or, deux exemples suf­fisent à infir­mer cette affir­ma­tion osée et audacieuse…

On amé­lio­re­rait le niveau des élèves en intro­dui­sant une seconde langue vivante dès la 5e. Certes, mais on en retire en 6e, en 4e et en 3e. L’objectif décla­ré ne sera donc pas atteint car avec MOINS d’heures sur une année, les langues vivantes deviennent des matières anec­do­tiques. L’allemand est la langue qui sera la plus tou­chée : il faut rap­pe­ler que le nombre de ger­ma­nistes est pas­sé de 14.000 à 96.000 par an grâce au dis­po­si­tif bilangue. Avec sa sup­pres­sion et la réduc­tion d’horaire que pro­met la réforme, les pro­fes­seurs d’allemand seront demain affec­tés sur trois éta­blis­se­ments. Ils n’auront plus de salle atti­trée, plus de temps pour les échanges et les sor­ties. Ils auront donc bien­tôt de moins en moins d’élèves ce qui jus­ti­fie­ra la fer­me­ture de classes.

L’Alsace épar­gnée ?

Devant le tol­lé que cette par­tie de la réforme a sus­ci­té par­ti­cu­liè­re­ment dans notre Région, le Minis­tère a affir­mé que l’Alsace ne serait pas concer­née par ce dis­po­si­tif. Les pro­messes n’engageant que ceux qui y croient, il y a tout inté­rêt à res­ter vigi­lant car les paroles d’un rec­teur ne peuvent qu’engager que lui-même. L’incertitude reste donc grande y com­pris dans notre région.

Et ce d’autant plus que l’argument du gou­ver­ne­ment pour sup­pri­mer les  classes bilangues est très spé­cieux : la ministre consi­dère que les sec­tions euro­péennes (autre­ment dit les classes bilangues) sont trop éli­tistes car elles seraient un moyen pour regrou­per les meilleurs élèves. Or, en réa­li­té, c’est plu­tôt le contraire : la créa­tion de ces classes a per­mis de gar­der dans le col­lège public de nom­breux élèves qui aurait fait le choix du pri­vé s’ils n’avaient pas trou­vé cette pos­si­bi­li­té d’apprendre deux langues. Cela a indis­cu­ta­ble­ment per­mis de tirer le niveau des classes par le haut.

Le dépu­té socia­liste Pierre-Yves Le Bor­gn rap­pelle que  «ces classes bilangues existent dans des petits col­lèges ruraux et dans les zones d’éducation prio­ri­taire,  pas seule­ment dans les beaux lycées. C’est au contraire un dis­po­si­tif de lutte contre les inéga­li­tés.  »

L’interdisciplinarité : créa­trice d’inégalités

En plus de l’al­le­mand, du russe, de l’i­ta­lien, le latin et le grec sont dans le col­li­ma­teur. Mal­gré le rideau de fumée lan­cé par les dif­fé­rentes com­mu­ni­ca­tions du minis­tère, il est cer­tain que l’en­sei­gne­ment des langues anciennes sera lais­sé à la bonne volon­té des chefs d’é­ta­blis­se­ment, et sou­mis aux contraintes des uns et des autres. Pour exemple, les EPI « latin » seront pris sur les quo­tas horaires des autres dis­ci­plines, « l’en­sei­gne­ment com­plé­men­taire » sera pris sur les heures de sou­tien aux élèves en dif­fi­cul­té et l’en­sei­gne­ment du latin pré­vu en cours de fran­çais ne don­ne­ra lieu à aucune dota­tion horaire supplémentaire.

Le Par­ti de gauche rap­pelle que cette inter­dis­ci­pli­na­ri­té fera perdre 400 heures d’enseignement aux col­lé­giens, dans des matières comme les mathé­ma­tiques, le fran­çais, l’histoire-géographie. Et de pré­ci­ser que  « l’autonomie ren­for­cée des col­lèges aggrave en effet la ter­ri­to­ria­li­sa­tion de l’éducation : il y aura désor­mais autant d’organisation et d’horaires que d’établissements. De fait, c’est la fin de l’égalité de trai­te­ment des élèves. »

Pour­quoi taire les rai­sons économiques ?

Ce qui est étrange, c’est que, par­mi les pro­tes­ta­taires, peu invoquent les rai­sons éco­no­miques. Il est vrai que le gou­ver­ne­ment mène une cam­pagne assez habile affir­mant que l’Education natio­nale est « pré­ser­vée des coupes bud­gé­taires », que 60.000 emplois seront créés (alors que Sar­ko­zy en a sup­pri­mé 80.000, mais bon pas­sons…) dont on n’a encore pas vu grand-chose.

Pour­tant, la sup­pres­sion des options de langues anciennes per­met avant tout au minis­tère (puisque leur ensei­gne­ment entre désor­mais dans le tronc géné­ral) de sub­stan­tielles éco­no­mies : avec 335.000 col­lé­giens lati­nistes ou hel­lé­nistes en France, ce sont des dizaines de mil­liers d’heures éco­no­mi­sées d’un seul coup, presque l’é­qui­valent des 4 000 postes pro­mis comme « nou­veaux moyens » pour mettre en place la réforme du collège !

Force Ouvrière Edu­ca­tion affirme que « depuis dix ans, selon les propres bilans du minis­tère de l’Éducation natio­nale, le nombre d’enseignants publics dans le secon­daire est pas­sé de 430 263 à 380 600, soit une baisse de 11,5 % (11,6 % au col­lège). Et dans le même temps, le taux d’enseignants non titu­laires dans le second degré public est pas­sé de 4 % des effec­tifs en 2005 à 7,5 % en 2013 selon le minis­tère. Une pro­gres­sion d’environ 10 000 postes pré­caires, loin de com­pen­ser la dis­pa­ri­tion de 50 000 titu­laires. Chez les per­son­nels non ensei­gnants, la chute a été encore plus mas­sive : – 16,3 %, soit près de 34 000 postes supprimés. »

Alors, on reprend la « ligne Macron » aus­si pour l’Education natio­nale. Faire mieux avec moins de moyens, pour l’instant cela n’a jamais mar­ché. En tout cas prendre un pari aus­si ris­qué pour la jeu­nesse est une nou­velle démons­tra­tion d’une ligne libé­rale qui pré­tend faire de la réduc­tion des dépenses publiques l’alpha et l’oméga de la seule poli­tique pos­sible… Et qui est un échec par­tout où elle s’applique !

Michel Mul­ler

PS: Marie-Jeanne Ver­ny met en ligne une péti­tion pour défendre l’en­sei­gne­ment des langues régionales.

http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2015N47607