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Il y a fort à parier que le par­le­ment grec va accep­ter le pro­jet d’accord impo­sé par les créan­ciers et l’Union euro­péenne. Ceux des autres pays vont faire de même : ouf, on a évi­té le Grexit !

Pour­tant, cette red­di­tion du gou­ver­ne­ment Tsi­pras n’est pas la fin de l’histoire, un autre page va s’ouvrir.

Dif­fi­cile avant tout pour le peuple grec. Leur pre­mier ministre a dû accep­ter un accord qui est pire que celui que la popu­la­tion avait reje­té lors du réfé­ren­dum. Les réformes et les condi­tions de mise en œuvre exi­gées, le rythme de déci­sion impo­sé au par­le­ment grec ne relèvent pas d’un com­pro­mis mais bien d’un diktat.

http://www.mediapart.fr/files/20150712-eurosummit-statement-greece_FR.pdf

Dans le pro­jet d’accord, la Grèce est bel et bien mise sous tutelle de la troï­ka : elle ne pour­ra prendre aucune déci­sion au niveau social par exemple, sans en réfé­rer avant aux « ins­ti­tu­tions ». Elle est condam­née à mener les pri­va­ti­sa­tions dans le cadre d’une sorte de « Treu­hand », struc­ture inven­tée par la Répu­blique fédé­rale alle­mande pour confis­quer les biens de la RDA soit pour les liqui­der, soit pour les confier à des entre­prises « sûres ». Nous savons que les aéro­ports régio­naux grecs doivent, dans le cadre de la pri­va­ti­sa­tion, être cap­tées par le consor­tium alle­mand Fra­port, pro­prié­taire de l’aéroport de Franc­fort et qui rachète à tour de bras dans les pays de l’est européen.

La bataille perdue

Aucun enga­ge­ment de la zone euro, ni des créanciers

Aucune des contre­par­ties deman­dées par Alexis Tsi­pras n’ont été satis­faites. Elles n’ont don­né lieu qu’à des pro­messes et des enga­ge­ments… à condi­tion que la Grèce mette en œuvre concrè­te­ment les ukases qui lui ont été imposées.

Ces ukases vont conduire le pays à connaître une aus­té­ri­té jamais vue, bien pire que celle que les Grecs connaissent déjà. Nous publions par ailleurs, des chiffres élo­quents qui illus­trent le niveau de la crise actuelle, avant les mesures nou­velles conte­nues dans le pro­jet d’accord. Si on appli­quait ce remède de che­val à la France, notre SMIC pas­se­rait de 1.136 euros nets à 704 euros ! Notre taux de chô­mage bon­di­rait de 10,5 à 25%, soit 9.073.000 chômeurs !

La contre­par­tie pro­mise, le déblo­cage de 80 mil­liards de fonds du Méca­nisme euro­péen de sta­bi­li­té (MES) est des­ti­né avant tout au rem­bour­se­ment des créan­ciers, comme cela s’est pas­sé à chaque déblo­cage de fonds par le passé.

On conti­nue donc à l’ancienne, avec la méthode qui a conduit au désastre que l’on connaît.

Il faut donc être lucide : Tsi­pras a per­du cette bataille, ce bras de fer enga­gé contre le sys­tème capi­ta­liste et les forces éco­no­miques, finan­cières et poli­tiques qui lui sont inféodées.

Tout est ques­tion de rap­port de force

Nous savons bien que ce n’est pas la per­ti­nence et la jus­tesse de l’argumentation qui sont les élé­ments essen­tiels d’une négo­cia­tion : ce qui est déter­mi­nant, c’est le rap­port de force sur lequel on peut s’appuyer.

A cet égard, les pro­pos de Ian­nis Varou­fa­kis qui relate les condi­tions de négo­cia­tions durant cinq mois avec les « ins­ti­tu­tions » est un petit chef d’œuvre. http://blogs.mediapart.fr/blog/julien-ballaire

Quand Alexis Tsi­pras dit qu’il a négo­cié avec un pis­to­let sur la tempe, ce n’est pas qu’une image : l’arme éco­no­mique et média­tique que tous les gou­ver­ne­ments euro­péens et le FMI affec­tionnent a été uti­li­sée pour de bon. Varou­fa­kis l’a com­pris dès le début des dis­cus­sions: « Des per­sonnes très puis­santes vous regardent dans les yeux et vous disent « Vous avez rai­son, mais nous allons vous écra­ser quand même. »

Et pré­cise-t-il : « Il y avait un refus caté­go­rique de débattre d’ar­gu­ments éco­no­miques. Refus caté­go­rique. Vous met­tez en avant un argu­ment que vous avez vrai­ment tra­vaillé – pour être sûr qu’il soit cohé­rent, logique – et vous n’a­vez en face de vous que des regards vides. C’est comme si vous n’a­viez pas par­lé. Ce que vous dites est indé­pen­dant de ce qu’ils disent. Vous auriez aus­si bien pu chan­ter l’hymne natio­nal sué­dois, vous auriez eu la même réponse. Et c’est décon­cer­tant, pour quel­qu’un habi­tué au débat uni­ver­si­taire… l’autre camp réplique tou­jours. Et bien là, il n’y avait pas réplique du tout. »

Il était donc dif­fi­cile de trou­ver des argu­ments. Le fonds du pro­blème était de savoir sur com­bien de divi­sion Tsi­pras pou­vait compter.

Au niveau des gou­ver­ne­ments, aucun !

 La super­che­rie de l’appui de Fran­çois Hollande

Quand on pose la ques­tion à Ian­nis Varou­fa­kis sur ceux qui diri­geait la négo­cia­tion, sa réponse est claire et pré­cise. Ques­tion: « qui contrôle l’Eurogroupe ? » : « (…) le ministre des finances de l’Al­le­magne. C’est comme un orchestre très bien rodé, et il est le chef d’or­chestre. Tout est au dia­pa­son. Il y a des moments où l’or­chestre sort du tem­po, mais il s’ac­tive, et tout revient dans l’harmonie. »

Des oppo­sants ? « Il n’y a que le ministre fran­çais qui a émis des bruits dif­fé­rents de la ligne alle­mande, et ces bruits étaient très sub­tils. Vous pou­viez voir qu’il devait choi­sir des mots très judi­cieux, pour ne pas être vu comme en oppo­si­tion. Et au final, quand Dr Schaüble répon­dait, et déter­mi­nait effec­ti­ve­ment la ligne offi­cielle, le ministre des finances fran­çais pliait tou­jours et se taisait. » 

L’indécente cam­pagne menée par les médias et une par­tie de la gauche en France pour pré­sen­ter Fran­çois Hol­lande comme celui qui a appuyé la Grèce, est une super­che­rie. Il a au contraire, fait pres­sion sur Tsi­pras pour qu’il accep­ter les condi­tions impo­sées par Mer­kel. L’aide aurait été d’aller à l’affrontement et d’exiger la restruc­tu­ra­tion de la dette dans l’accord final.

La soli­da­ri­té des peuples

Mer­ci et bra­vo Alexis Tsipras !

Le seul appui, et non le moindre, dont béné­fi­ciait Tsi­pras, est le mou­ve­ment de soli­da­ri­té qui s’est créé autour de la Grèce dans les opi­nions publiques. Pour­tant, c’était loin d’être gagné. Tous les grands médias étaient mobi­li­sés pour dif­fu­sés les « bonnes » posi­tions euro­péennes et fus­ti­ger les Grecs et leur option d’avoir choi­si un gou­ver­ne­ment de la « gauche radicale ».

Mal­gré cela, dans tous les pays euro­péens, même en Alle­magne, un cou­rant de sym­pa­thie s’est déve­lop­pé pour la Grèce.

Car si la bataille est per­due pour Alexis Tsi­pras, la guerre ne l’est pas encore !

Et nous devons être recon­nais­sants au peuple grec qui le paye cher, d’avoir mis en évi­dence des réa­li­tés que l’opinion publique euro­péenne ne pre­nait pas en compte dans sa globalité.

Il a mis en évi­dence l’injustice de la dette et ce pas uni­que­ment en Grèce ! L’endettement de la France est de 2089 mil­liards (contre 321 à la Grèce) et s’accroît de 2665 euros… à chaque seconde ! Croyez-vous que cela puisse conti­nuer ain­si long­temps ? Tôt ou tard, nous serons confron­tés à une situa­tion iden­tique que celle de la Grèce. Et si on nous applique les mêmes mesures ? Chaque Fran­çais est endet­té à hau­teur de 29.300 € si on applique les cri­tères que les éco­no­mistes ont pris en compte pour la Grèce (28.217 € par habitant).

Il a fait appa­raître que cette Europe n’a aucun ave­nir et qu’elle est en train de dépé­rir. Le mépris affi­ché pour la démo­cra­tie et pour la volon­té des peuples ne pour­ra que se retour­ner contre les diri­geants poli­tiques qui défendent à tout crin un espace qui ne prend aucu­ne­ment en compte le bien-être des popu­la­tions. Au contraire, tout l’acquit du « modèle social » euro­péen, basé sur une redis­tri­bu­tion plus ou moins équi­table entre « capi­tal » et « tra­vail » est liqui­dé pan par pan. Et là éga­le­ment, tout les pays sont concer­nés même ceux du « nord » comme le dénoncent régu­liè­re­ment les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. L’image même de l’Europe est dura­ble­ment écor­née auprès des peuples de toute l’Europe.

Durant ces cinq mois de lutte entre Athènes et l’Europe finan­cière et poli­tique, l’opinion publique a pu clai­re­ment se rendre compte de l’ali­gne­ment fidèle et constant de la droite (Par­ti popu­laire euro­péen PPE) et la social-démo­cra­tie (PSE) sur les exi­gences de la finance qui n’ont eu de cesse de vou­loir faire mordre la pous­sière à Syri­za de peur que la preuve puisse être faite qu’une autre poli­tique euro­péenne est possible.

Rien ne se fera sans un grand mou­ve­ment social

Mais peut être que l’enseignement le plus impor­tant de cet affron­te­ment entre Syri­za et tous les autres, c’est qu’il ne suf­fit pas de confier les inté­rêts d’un peuple dans les seules mains d’un par­ti ou d’un homme ou d’une femme poli­tique aus­si brillant(e), aus­si cha­ris­ma­tique, aus­si sin­cère qu’il ou elle soit.

L’économie et la poli­tique ne sont pas affaires de sen­ti­ment : c’est bien une affaire de forces en pré­sence. Tsi­pras n’avait pas les forces suf­fi­santes pour faire plier l’Europe. L’appui consi­dé­rable de son peuple n’est pas suf­fi­sant dans le contexte poli­tique actuel. Les appuis dans les autres pays n’ont pas atteint le niveau néces­saire pour faire peur aux possédants.

Et pour­tant, c’est bien la seule voie qui per­met­tra de chan­ger les choses.

La confron­ta­tion n’est pas ter­mi­née, un nou­vel épi­sode s’ouvre et la crise glo­bale, pas seule­ment en Grèce, n’est pas sur­mon­tée. La situa­tion nou­velle en Grèce doit nous conduire à inten­si­fier le tra­vail d’information pour sur­mon­ter la décep­tion qui frappe sûre­ment de nom­breux citoyens qui pen­saient que la confiance accor­dée à un gou­ver­ne­ment qui tien­dra enfin ses pro­messes suf­fi­ra à chan­ger le cours des choses.

Il faut aus­si que des auto­cri­tiques se fassent rapi­de­ment : pour­quoi le mou­ve­ment syn­di­cal inter­na­tio­nal et euro­péen, fran­çais aus­si, a‑t-il été aus­si peu et tar­di­ve­ment impli­qué dans le sou­tien au peuple grec ? Com­ment la gauche fran­çaise tire une ana­lyse de cet échec grec pour se recons­truire en s’appuyant plus sur le mou­ve­ment social que sur le mythe de l’homme (ou de la femme) pro­vi­den­tielle  qui gui­de­rait nos pas ? Com­ment, enfin, une nou­velle démo­cra­tie peut naître dans laquelle la parole citoyenne aurait le der­nier mot.

C’est bien pour­quoi la soli­da­ri­té avec le peuple grec ne peut souf­frir d’un répit : il faut l’intensifier !

austerite